Réunion de famille : entre savon et bulles.

Samedi soir.
Je glisse un pied dans l'eau, un second puis plonge mon corps dans le liquide chaud. Je soupire d'aise quand Niki déboule dans la salle de bain vêtue d'une magnifique robe blanche aux reflets d'un ivoire scintillant, brodée de fils d'or et de perles. Cette robe est mon premier présent. J'aime quand elle la porte. Niki s'agenouille.
« Ma Reine, la source de votre inquiétude est confirmée. Je viens à l'instant de m'en assurer. »
« Bien, Niki. Merci de t'être toi-même déplacer. As-tu prévenue mes soeurs ? »
« Les princesses ont été conviées à vous rejoindre, ma Dame. J'ai pensé que discuter avec ma Reine serait de meilleur effet. »
« Parfait. J'ai envie de me détendre après toute cette agitation. »
Niki s'incline une nouvelle fois croyant que je la congédie.
« Où vas-tu Niki ? Reste ici. »
« Mais, ma Dame... Je croyais que... »
« Tu croyais mal, Niki. Enlève ces vêtements. Tu assisteras à la réunion toi-aussi. »
Une nouvelle fois elle s'incline en remerciement. J'aime beaucoup Niki. C'est une jeune artiste que j'ai découvert il y a quelques semaines, au bord du lac aux milles éclats alors que je me promenais seule. Elle n'a que dix-sept ans mais est déjà très mûre et réfléchie. Elle s'acquitte parfaitement des tâches que je lui donne, obéit à la perfection et sait prendre des décisions importantes lorsqu'il le faut. Je suis tombée sous son charme. Elle est jeune et rayonne d'une gentillesse pure et claire. Niki est limpide. Elle ne sait ni mentir, ni tromper. Niki est un ange. Sa chevelure auburn prend des teintes flamboyantes à la lumière. Sa peau est si blanche qu'elle en paraît parfois transparente. Son corps est fin, élancé, gracile. Ses gestes respirent la légèreté et ses yeux ont la couleur de l'or.
Niki retire sa robe ainsi que le seul bijou qu'elle porte, un diamant sur une chaîne d'argent pur. Mon dernier cadeau en date. Niki se glisse à mes côtés, avec hésitation. Je lui tends une main, elle la saisit, la baise et lève son regard ambré vers le mien. Je frissonne et attire cette ange contre moi, ensorcelée.

Ma Dame tend sa fine main vers moi. Je la saisis avec douceur, mes lèvres effleurent sa peau aussi fine et aussi claire que la porcelaine. Je plonge mon regard dans ses yeux ardents. Je ne comprends pas pourquoi on la craint. Certes, c'est la reine (heureusement qu'elle est crainte) mais si les habitantes daignaient la connaître un peu plus, elles sauraient que derrière cette apparence cruelle et glaciale se cache un cœur qui bat. Son regard est aussi brûlant que ses yeux rouges, pas un seul souffle glacé ne les traversent. J'admire plus que tout ma Dame. C'est un rubis brut.
Elle m'attire contre elle, mon coeur s'affole. Comme à chacune de nos étreintes. Sa peau qui frôle la mienne me provoque mille piqûres, mille brûlures.
L'eau me porte. Ma Dame saisit mon menton d'une main et m'observe. Je me sens rougir, comme à chaque fois que l'attention de ma Dame m'est exclusive.
« M'aimes-tu, Niki ? »
Je tente de déceler une lueur dans son ton. Rien. Moi, je n'hésite pas.
« Je vous aime à la démence, ma Dame. Plus que ma propre vie. »
Elle a l'air satisfaite de ma réponse. Elle repousse une mèche de mes cheveux qui tombe sur mon front. Et puis, subitement, ma Dame m'offre ses lèvres. Je les saisis avec douceur, de peur de les briser si je les embrassais avec trop de hâte, de ferveur. Ma Reine me surprend toujours. Je me contente de la suivre. Ça ne dérange pas, moi qui ne suis rien. Elle est mon soleil et ma lune, mes astres, mon univers. Elle est ma vie.
Je suspends mon baiser, son baiser. Elle hausse un fin sourcil brun. Qui a-t-il ? Je lis dans ce geste.
« Je me trompe. Je ne vous aime pas plus que ma propre vie. J'aime ma vie... »
Son doigt sur ma joue se crispe.
« ... Puisque ma vie, c'est vous. »
Je sens ma Dame se détendre. Étrange, lui aurais-je causer un trouble ?
« Décidément Niki, tu tiens mon cœur entre tes mains. » dit-elle en un souffle. Je ne suis pas sûre d'avoir bien entendu.
Son doigt caresse ma joue, erre jusqu'à mon front. Là, avec une petite pression, elle plonge ma tête entièrement dans l'eau. Elle n'y trouve aucune résistance, j'ai confiance en elle. Ma volonté n'existe que pour ma Reine. Jamais je n'aurais peur d'elle. Penchée sur moi, elle me rejoint dans les profondeurs du bassin. Je contemple son corps, ses formes, ses contours délicieux aux allures divines. Elle surprend mon regard, sourit. Je ferme les yeux, honteuse. Ma Dame baise mes paupières closes, promène sa bouche sur mes tempes, mes joues, mes fossettes, mon nez, mon menton en évitant soigneusement mes lèvres. Mes lèvres qui brûlent d'amour pour les siennes. Une de ses mains empoignent ma nuque, la seconde vagabonde dans mon dos. Ses lèvres désirent mon cou. Elles m'électrisent. Et finissent par se poser sur ma gorge. Descendent, lentement. Y déposent des baisers furtifs. Mon corps se tend, incapable de résister plus longtemps.
Ma Reine le sent sûrement car d'un coup de pied, elle nous propulse toutes les deux à la surface. Je respire un grand coup, mes poumons s'emplissent de nouveau d'air. Captive de mes désirs, de mes souhaits, mes attentes et mes illusions, électrisée par ma Dame, j'avais oublié mon besoin de respirer.
Soudain, j'aperçois une des cinq princesses entrer. Je me fige, interdite. Avant d'avoir eu le temps de prononcer un mot, ma Dame s'empare de mes lèvres et me livre un baiser passionné. Je ne résiste pas, il est vain. Je me laisse aller contre ma maîtresse, ma reine. Nos langues franchissent les frontières et nous partageons un baiser plein d'audace et d'ardeur. Sa main sur ma hanche me caresse au rythme des clapotis de l'eau. Je sens monter en moi une passion intarissable.
C'est alors que Esyalis Vassikin, seconde princesse, émet un raclement de gorge, avec élégance.

Il y a une demi-heure, la favorite était venue me prévenir qu'une réunion se tenait dans la salle des bains. La reine avait une annonce importante à y faire et toutes les princesses y étaient conviées. Conviées, doux euphémisme utilisé pour nous faire croire que nous avons le choix. La réalité est tout autre puisque ce n'est guère une invitation mais plutôt une obligation.
À seize heures, Louise entre dans mes appartements pour y faire le ménage. Je vois là le signal. Je quitte ma chambre et me dirige sans me presser vers la salle des bains. L'endroit est surprenant comme lieu de réunion quand on ne connaît pas Ewyla Vassikin, reine de Kaissotari.
J'arrive sur les lieux, cherche âme-qui-vive. Et trouve Ewyla dans le bassin du milieu, me tournant le dos, occupée avec sa favorite. J'observe silencieusement la scène. La favorite m'a remarqué mais paraît trop prise par sa Reine pour lui faire part de ma présence. Au bout d'une minute, ma patience s'amenuise et j'émets un bruit pour prévenir de mon entrée. Ewyla se retourne, deux doigts sur ses lèvres rougies par la frénésie de ces quelques baisers échangés. La favorite rougit, elle aussi, replie ses jambes contre elle.
« Désolée d'être arrivée au mauvais moment. » Je lâche, l'air mutin.
Ewyla vrille ses yeux sombres vers moi.
« J'ai cette terrible habitude. » J'ajoute inutilement.
Un éclair de colère dans les yeux de la reine. J'en ris intérieurement.
« Si vous le permettez, chère soeur, je vais me changer. »
Sur ces paroles, je me dirige vers la penderie, vulgairement appelé, ou encore vestiaire. Une salle immense, à la réputation du reste du palais. Je quitte mes vêtements jusqu'au dernier. J'enfile juste un fin peignoir, kimono, en voile transparent. Je détache mes cheveux blonds, observe mon reflet dans le miroir et retourne dans la salle des bains, satisfaite. Ewyla y parle à voix basse avec sa favorite. Lorsqu'elle m'aperçoit, elle se tait. Elle se méfie tellement de moi ! Risible.
« Je peux... me joindre à vous ? Les autres ne vont pas tarder à arriver. »
J'attends sur le bord du bassin un réponse.
Ewyla lève les yeux vers moi. Elle fixe mon visage avec intensité. Je sais qu'elle tente de ne pas regarder mon corps nu. La favorite s'empêche de lever les yeux vers moi, se contente de les poser à la surface de l'eau, immobile.
« Alors ? » Je réitère ma question.
Ewyla hoche la tête. Je ne me fait pas attendre, je fends l'eau brûlante du bassin, toujours vêtue de mon kimono. Je me plonge entièrement dans l'eau, ressort. Ewyla s'est approchée, laissant de côté sa favorite. Je devine aisément que je suis plus intéressante que cette pauvre fille, plus... captivante. Je me redresse. Le kimono déjà transparent devient quasiment invisible avec l'eau. Il me colle à la peau. Là, Ewyla ne fait plus semblant. Sans gêne, elle laisse son regard couler sur mes formes. Mes lèvres esquissent un sourire.
« Que nous vaut ta délicate présence, chère soeur ? »
Elle me toise, je n'apprécie pas. Je la plaque brutalement contre une des parois du bassin. Elle paraît surprise de mon geste. Moi-même je suis étonnée de mon attitude, moi qui suit pourtant si calme, si sereine, maîtresse de ses esprits. Peut-être suis-je troublée par la vue de son propre corps ? Plus que je ne veux me l'avouer.
« Esyalis. » Prononce-t-elle du bout de ses lèvres charnues.
Soudain, plus rien n'a d'importance sinon nos deux corps qui ne demandent qu'à se partager, s'entre-mêler. Heureusement pour moi, l'entrée de mes soeurs vient mettre fin à ma transe et je m'éloigne vivement d'Ewyla.

Lorsque un message concernant une réunion obligatoire dans les bassins intérieurs m'est parvenue par la favorite d'Ewyla, j'étais en compagnie de ma soeur, Clea Pandora. Clea, c'est la soeur dont je suis le plus proche, la reine exceptée. Elle est encore jeune, fougueuse et pleine d'impertinence, je trouve ça intéressant. Malheureusement, elle a tendance à s'opposer à la politique d'Ewyla à qui j'ai prêter allégeance. Nos opinions sont à notre encontre mais je l'aime beaucoup. Elle est bizarre, a des tendances limite sado-masochistes mais en un sens, c'est l'une des moins étranges de la famille. Avec moi, bien sûr. Peut-être est-ce dû à sa jeunesse. En tout cas, elle n'en demeure pas moins extrêmement intelligente ce qui la rend précieuse aux yeux d'Esyalis et dangereuse aux yeux d'Ewyla.
« Tu crois que c'est important ? »
Je demande, ne doutant pas qu'elle aura la réponse et ce sera fait un avis sur la chose.
« Non pas que ça ne m'intéresse pas si ça n'est pas important mais on était quand même en pleine manu-pedi. C'était un test, vu que le bal annuel du solstice d'été aura bientôt lieu. »

« Tu crois que c'est important ? »
Mira et moi nous sortons chacune de nos chambres respectives, changées. Pour la réunion d'information de la reine, Mira a revêtu un maillot de bain noir brodé d'un fin ruban rose et par dessus un aussi fin kimono en mousseline. Moi, une simple robe en soie d'un noir profond.
« Je ne sais pas trop... »
« Non pas que ça ne m'intéresse pas si ça n'est pas important mais on était quand même en pleine manu-pedi. C'était un test, vu que le bal annuel du solstice d'été aura bientôt lieu. »
Je me frappe le front du plat de la main, sous le choc.
« Le bal ! J'avais complètement oublié. Il faut absolument que je me trouve une cavalière ! »
Mira me jette un regard dubitatif. J'aime qu'on m'aime. J'aime être aimé et entourée. J'aime les jolies filles. J'aime les bals. Le bal du Solstice d'été est celui que j'attends le plus. Dire que j'avais oublié !
« Mince. Je devrais m'y mettre tout de suite. Foutu réunion, je vais être en retard. Je dois... »
« Partir à la chasse ? » me coupe Mira en rigolant.
Je souris. C'est un peu ça, oui. Mon but, chaque année, est de m'afficher avec la plus jolie, la plus sexy fille de Kaissotari. Je la trouverai ! Parole de Clea Pandora.
Nous arrivons dans la salle des bains. Kaksi nous précède de peu. Déjà Ewyla et sa favorite, Esyalis sont dans l'eau. Nues.
« Torride ! » me souffle Mira.
« Volcanique. » Je renchéris sur le même ton.
Mira retire son kimono et saute dans l'eau d'un gracieux plongeon. Je prends plus mon temps. Je demande de l'aide pour enlever ma robe. Esyalis arrive à ma rescousse, dégoulinante.
« Je suis là. » murmure-t-elle en arrachant presque ma robe. Je ne porte pas de dessus. Esyalis en profite pour se coller à moi. Je croyais être la plus mangeuse de femme ici mais c'est bien Esyalis la plus perverse, croyez-moi. Même si elle ne le montre pas.